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Christine Lagarde
The President of the European Central Bank
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Entretien avec La Tribune Dimanche

Entretien accordé par Christine Lagarde, présidente de la BCE, à Marie-Pierre Gröndahl le 8 mai 2025

18 mai 2025

Les 100 jours depuis l’élection du nouveau Président américain ont été marqués par un chaos économique et financier. Comment réagir dans un contexte aussi bouleversé ?

L’arrivée au pouvoir du Président Trump a simultanément rebattu les cartes dans trois secteurs-clés : économique, politique et militaire. Trois axes majeurs de la coopération internationale, dans le cadre d’une mondialisation qui s’est développée pendant ces dernières décennies. Plus qu’une menace, c’est une opportunité : l’Europe est plus nécessaire que jamais. Ses dirigeants doivent accélérer le processus d’approfondissement de l’Union européenne. Et transformer l’essai. On constate aujourd’hui que la dépendance énergétique, militaire et financière est remise en cause, ce qui justifie un travail collectif. Ces domaines constituent des biens communs, qui nécessitent une action coordonnée à l’échelle européenne. Aucun des pays de la zone euro ne pourrait faire face, seul, aux défis à relever dans ces trois domaines.

L’UE peut-elle y parvenir ?

L’UE est un ensemble de 450 millions d’habitants, avec un pouvoir d’achat par habitant et un niveau de vie, ainsi qu’une productivité, certes inférieurs à ceux des États-Unis. Mais elle bénéficie d’indéniables atouts et capacités, à commencer par le fait - souvent oublié - que le premier partenaire commercial de l’UE, c’est l’UE elle-même, et non les États-Unis. L’Europe doit absolument relever le gant. Au moment où l’on voit comment l’état de droit, l’ordre judiciaire ou les règles commerciales sont remis en cause aux États-Unis, où l’incertitude est permanente et renouvelée au quotidien, l’Europe est perçue à juste titre comme une zone économique et politique stable, avec une monnaie solide et une banque centrale indépendante. C’est impressionnant de constater que dans une période de doute, où on aurait normalement dû voir le dollar s’apprécier de manière significative, c’est l’inverse qui s’est produit : l’euro s’est apprécié par rapport au dollar.

Pourquoi ?

C’est contre-intuitif, mais justifié par l’incertitude et la perte de confiance de certaines parties des marchés financiers vis-à-vis des politiques américaines.

Comment l’UE peut-elle réagir face au relèvement des droits de douane annoncé par Donald Trump ?

Elle doit avoir toutes les cartes en main en cas d’échec des négociations. Ce qui signifie avoir identifié les secteurs d’activité, les zones géographiques, les volumes et les pourcentages concernés, pour définir ensuite les actions de rétorsion dont elle dispose. Dans une logique transactionnelle, il faut négocier, examiner les marges de manœuvre, comprendre ce que souhaite la partie adverse et voir si un accord peut être trouvé. Il est par ailleurs très opportun que la Commission européenne explore des terrains d’entente avec d’autres pays, notamment en Amérique latine, ou avec l’Inde, l’Indonésie et les pays d’Asie du Sud-Est.

Un bloc européen uni peut-il émerger ?

C’est en partie une question d’enjeux internationaux. Si l’ensemble des pays européens étaient soumis à des menaces extérieures, la nécessité d’un sursaut collectif s’imposerait. Jusqu’à présent, l’OTAN fonctionnait très bien pour contribuer à la protection de l’Europe. Aujourd’hui, nous avons tous compris qu’il fallait bâtir ensemble une défense européenne. Face à des menaces communes naissent des projets communs, comme lors de la pandémie, avec l’emprunt « Next Generation EU ». « Mettons en commun ce que nous avons de meilleur et enrichissons-nous de nos mutuelles différences », comme disait Paul Valéry, un immense Européen.

De nombreux chefs d’entreprise, français et européens, regrettent que les recommandations du rapport de Mario Draghi ne soient pas suivies d’effets. Et critiquent l’excès de normes en Europe. Ont-ils raison ?

Ils sont un peu injustes. La construction européenne s’est faite au cours des cinquante dernières années avec une accumulation de normes, c’est vrai. Mais des initiatives législatives, qui regroupent plusieurs modifications ou révisions de textes, les « Omnibus », se succèdent depuis quelques mois. Je constate qu’il y a une détermination politique à réduire les obligations déclaratives et à gagner en efficacité, mais cela ne peut se faire du jour au lendemain. Les responsables politiques ont un rôle très important à jouer dans ce domaine.

Le couple franco-allemand est considéré comme l’un des moteurs de l’UE, mais semblait en perte de vitesse ces dernières années. L’arrivée d’un nouveau Chancelier change-t-elle la donne ?

La rencontre entre Emmanuel Macron et Friedrich Merz le 7 mai dernier est un signal très fort. De même que l’annonce par le nouveau Chancelier d’un programme d’investissements dans les infrastructures de 500 milliards d’euros, en plus d’une augmentation significative des dépenses de défense, qui représente un changement majeur pour l’Allemagne. Ce couple franco-allemand, sans lequel peu de projets peuvent se développer, semble déterminé à agir ensemble. Un certain nombre de chantiers, comme le marché unique des capitaux, étaient à l’arrêt depuis plusieurs années parce que le duo franco-allemand ne fonctionnait pas bien. Ces deux dirigeants ont compris qu’il fallait mobiliser l’argent au niveau européen et construire des plateformes pour attirer ceux qui souhaitent y investir. Et ils sont nombreux.

Comment agir pour qu’une grande partie de l’épargne des Européens ne soit pas investie aux États-Unis ?

Nous devons construire des solutions européennes qui nous évitent la dépendance dans laquelle nous nous sommes trouvés en matière énergétique, notamment en ce qui concerne les infrastructures de paiement et l’euro numérique. Les grandes cartes de paiement, qui détiennent un peu plus de 60 % du marché ne sont pas européennes. Des systèmes de paiement numériques existent dans certains pays de l’UE, mais aucun n’est paneuropéen. Il faut que le Parlement européen se saisisse rapidement du projet législatif en discussion depuis juillet. Je pense qu’un momentum politique est en place pour avancer un peu plus vite. L’euro numérique est un sujet sur lequel la BCE travaille en binôme avec le Parlement, qui doit valider un projet. De notre côté, nous serons prêts techniquement dès le mois d’octobre à terminer les préparatifs pour lancer le projet et monter graduellement en puissance.

Le retard européen dans ces deux domaines est-il rattrapable ?

Tout à fait. Il faut élaborer un cadre réglementaire intelligent. L’Europe, ce n’est pas le Far West. Sur l’euro numérique et le marché unique des capitaux, il y a une vague de fond plus puissante que ce que j’ai vu en six ans de mandat. Il faut aussi parvenir à une harmonisation de la supervision, comme nous avons réussi à le faire en matière bancaire.

Cette période vous inquiète-t-elle ?

Je ne suis pas du tout pessimiste. En Europe, l’emploi se maintient, le pouvoir d’achat s’améliore, l’inflation baisse. La consommation et l’investissement devraient repartir, même si les incertitudes engendrées par les annonces de l’administration américaine pèsent sur la confiance et freinent cette reprise. Je pense, en revanche, qu’il faut faire preuve d’un volontariat collectif pour parvenir à nous libérer des dépendances énergétique, militaire et financière dans lesquelles nous nous étions naïvement endormis. Le réveil est brutal, mais on peut relever le défi. L’Europe l’a déjà partiellement prouvé sur le plan énergétique, en diversifiant ses sources d’approvisionnement. Et nbous devons continuer à réduire nos approvisionnements de gaz russe. Je suis délibérément positive, parce qu’il me semble aussi que cette approche est nécessaire. Les Européens ont tendance à être moins optimistes que les Américains – j’ai vécu suffisamment longtemps aux États-Unis pour pouvoir le dire avec un peu de crédibilité. Nous sommes davantage enclins à la critique. Mais être positif n’empêche en aucun cas de respecter la réalité des faits.

Justement, les contre-vérités s’accumulent, y compris en matière économique. Comment lutter contre ce phénomène ?

C’est un autre défi auquel nous sommes confrontés. Celui de la vérité. Nous devons tous vérifier les faits, les chiffres, l’authenticité de ce qui est rapporté. Les journalistes ont une mission fondamentale à cet égard.

La mondialisation est-elle remise en cause ?

Je crois qu’il y a depuis longtemps un problème sous-jacent de légitimité de la mondialisation. Même si elle a été très favorable pour certains pays et sauvé de la famine des centaines de millions d’êtres humains, elle a parallèlement obéi - peut-être trop - à une logique de réduction des coûts, d’efficacité et de fragmentation. Sans nécessairement réfléchir aux questions de désindustrialisation et de paupérisation de certaines régions ou de zones géographiques, qui en ont été tragiquement affectées. Ces questions ont été bien entendu exploitées à des fins électorales. Mais elles ne doivent pas moins nous conduire à revisiter la manière dont nos relations économiques, nos sources d’approvisionnement et nos infrastructures de paiement sont organisées. Y compris pour préserver le modèle social européen, plus protecteur que d’autres.

Le FMI a récemment publié des prévisions assez négatives pour la France, en matière de réduction de dette et de déficit. Qu’en pensez-vous ?

Tous les pays, quel que soit leur niveau d’endettement, quel que soit leur pourcentage de déficit rapporté au PIB, peuvent décider la réorientation de leurs finances publiques. Les autorités françaises, au sein des instances européennes, telles que l’Ecofin ou l’Eurogroupe, expliquent leur détermination à réduire le déficit budgétaire et la dette. Il faut concrétiser ces intentions. C’est une question de crédibilité. Elle se pose pour chaque pays.

Le Président américain a attaqué la stratégie suivie par la Federal Reserve, et son gouverneur, Jay Powell, à de multiples reprises. Serait-ce imaginable en Europe ?

L’indépendance de la Banque centrale européenne est garantie par les traités. Ce ne serait donc pas possible. L’indépendance de la banque centrale est fondamentale pour l’hygiène monétaire et financière au sein d’un pays, ou d’un ensemble de pays. Dans tous les cas où une banque centrale s’est trouvée sous la coupe d’une autorité budgétaire, ça ne s’est jamais bien terminé.

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