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Dix mois d'Eurosystème

Intervention de M. Christian Noyer Vice-président de la Banque centrale européenne, á l'occasion d'une conférence à Luxembourg, organisée par la Banque centrale du Luxembourg, le 25 octobre 1999

Mesdames et Messieurs,

Je remercie M. Mersch, Président de la banque centrale du Luxembourg, de me donner l'occasion de dresser aujourd'hui devant vous une forme de bilan provisoire, après bientôt dix mois d'euro, du fonctionnement de l'Eurosystème, soit de l'ensemble formé par la banque centrale européenne et les banques centrales des pays ayant adopté l'euro. Il est en effet essentiel que soit entretenue une communication régulière et directe avec les acteurs de la vie économique, les administrations, et le public en général. C'est important parce que la matière est naturellement technique et quelquefois hermétique, parce que l'institution est nouvelle, et que sa réussite ne dépend pas seulement des mécanismes institutionnels et de la réunion des expertises, mais également de la bonne compréhension, par le public des objectifs et des moyens de la politique monétaire de la zone euro, ainsi que par l'Eurosystème, de l'état d'esprit des citoyens.

Dix mois, c'est peut-être peu pour jauger une institution encore récente, et dont l'action a pour horizon le moyen terme. C'est suffisant cependant pour se faire une bonne idée de son fonctionnement, pour percevoir les effets que l'euro va produire, et produit déjà, sur les économies de la zone.

Je développerai quatre thèmes principaux.

Premièrement, la mise en place technique et institutionnelle de l'euro est un succès.

Deuxièmement, la stratégie monétaire a été mise en pratique.

Troisièmement, l'euro apparaît déjà comme un puissant facteur d'intégration financière.

Quatrième point, si l'euro garantit un environnement économique stable, de profondes réformes structurelles restent nécessaires pour réduire durablement le niveau du chômage en Europe.

Donc, première idée, l'Eurosystème est fermement établi et fonctionne bien. Je résumerai en quelques mots : un basculement réussi ; un processus de décision clair, un cadre opérationnel qui a permis l'approvisionnement efficace en liquidité du système bancaire.

Le basculement à l'euro, au début de cette année s'est déroulé sans encombre. Il a été réalisé grâce à une préparation minutieuse et coordonnée, qui a mobilisé des centaines de milliers de personnes des secteurs financiers, des administrations et des entreprises. Leur engagement et leur professionnalisme ont permis le succès de cette conversion massive et, à une telle échelle, sans équivalent. En un instant, les onze monnaies de la zone n'en ont formé plus qu'une, en un week-end, des millions d'actifs monétaires ont été convertis. Si l'unification monétaire n'est pas toujours effectivement perçue par le grand public car la conversion de la monnaie fiduciaire, des prix de détail et de la généralité des références monétaires des contrats privés ne s'effectuera qu'en 2002, elle est déjà une réalité économique. Le marché des biens et des financements est désormais plus lisible, et partant plus ample, au sein de la zone. L'impact macroéconomique d'un tel changement ne peut être immédiatement perçu ni précisément calculé mais les gains économiques d'une telle unification, qui ouvre des opportunités et réduit l'incertitude, sont incontestables et amélioreront puissamment l'efficacité des économies de la zone.

L'expérience acquise à ce jour montre que le cadre opérationnel de l'Eurosystème constitue un instrument efficace pour piloter les taux d'intérêt du marché monétaire, limiter leur instabilité et permettre à la BCE d'émettre des signaux de politique monétaire appropriés. Les opérations principales de refinancement constituent le principal canal d'approvisionnement du système bancaire en liquidité. Les opérations de refinancement à plus long terme fournissent au système bancaire des liquidités additionnelles, sur une base stable, à échéance de trois mois. Les facilités permanentes encadrent l'évolution des taux d'intérêt au jour le jour du marché. Enfin, le système de constitution en moyenne des réserves obligatoires permet le lissage des fluctuations quotidiennes de la liquidité. Les établissements contreparties se sont désormais bien adaptés au nouvel environnement. La mise en place du système de règlement transeuropéen de gros montant TARGET a grandement facilité ce processus. Ce système, qui permet de relier entre eux les systèmes de règlement nationaux de gros montants peut être utilisé par 30 000 institutions et constitue un des plus grands systèmes de règlement au monde. Il traite près de 1000 milliards d'euros (en valeur) d'opérations par jour et représente désormais 70 % des règlements de gros montants au sein de la zone euro.

La politique monétaire de l'Eurosystème dispose donc d'un outil de pilotage de la liquidité bancaire opérationnel et efficace. Qu'en est-il de sa stratégie monétaire, et des évolutions monétaires observées ?

Comme vous le savez, l'objectif principal de l'Eurosystème, que lui assigne le Traité de Maastricht (article 105 notamment), est la stabilité des prix.

Pour atteindre cet objectif, la stratégie de l'Eurosystème repose tout d'abord sur un objectif de prix quantifié. La stabilité des prix est définie comme une progression sur un an de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) inférieure à 2 % dans la zone euro. En outre, il a été annoncé que la stabilité des prix doit être maintenue à moyen terme, conférant une orientation à moyen terme à l'ensemble de la stratégie.

Outre cet objectif de prix, la politique monétaire se fonde sur ce que l'on a coutume d'appeler deux "piliers". Le premier est constitué d'un agrégat monétaire (M3 en l'occurrence). L'idée sous-jacente, validée empiriquement par de nombreuses études, est qu'il existe une relation stable à moyen terme entre la masse monétaire et le niveau de prix. Le Conseil des gouverneurs a fixé le 1er décembre 1998 cette valeur de référence de progression annuelle de l'agrégat M3 à 4,5 %. Conformément à l'orientation à moyen terme de la stratégie, cette valeur de référence a été calculée de manière à être compatible avec le maintien de la stabilité des prix à moyen terme, en se fondant sur des hypothèses relatives à l'évolution à moyen terme du PIB réel et à la vitesse de circulation de la monnaie.

Le suivi des agrégats monétaires et de ses contreparties représente donc le premier pilier. Le second pilier est constitué par une série d'indicateurs qui permettent une évaluation des perspectives d'evolution des prix dans la zone euro. Comment ont évolué l'inflation et les agrégats monétaires depuis la création de l'euro ?

L'indice harmonisé des prix à la consommation a augmenté récemment pour atteindre 1,2 % au mois d'août en variation annuelle, en raison essentiellement de l'augmentation des prix du pétrole. La progression annuelle de l'agrégat M3 a été de 5,6 % en moyenne trimestrielle centrée sur le mois de juillet, ce qui confirme l'accélération observée depuis le printemps (la progression correspondante au mois de mars était de 5,2 %). Cette tendance peut s'expliquer par le niveau relativement faible des taux d'intérêt au sein de la zone euro qui rendent par comparaison assez attractifs la détention des actifs les plus liquides de l'agrégat M3 (en particulier les dépôts à vue) ainsi que par l'amélioration de la situation économique de la zone.

Quant aux contreparties de M3, ce sont les crédits au secteur non financier privé qui en constituent la composante la plus dynamique, avec une progression annuelle de l'ordre de 10 % depuis le début de l'année. Ici également, cette progression s'explique d'abord par le faible niveau des taux d'intérêt. En outre, les anticipations de hausse des taux, l'amélioration de la situation économique, les hausses de prix du foncier et de l'immobilier dans certains pays ainsi que le niveau élevé de l'activité de fusions-acquisition ont contribué a cette tendance. Certes, les taux longs ont connu une certaine progression, mais ils demeurent à un niveau bas et la hausse des taux de marché ne paraît avoir été que partiellement répercutée par les banques sur les conditions de crédit.

Je conclurai ce survol des développements monétaires par trois observations générales.

Premièrement, l'Eurosystème a pour objectif la stabilité des prix de l'ensemble de la zone euro. Il n'entre pas dans son mandat de conditionner la politique monétaire dans un sens ou dans l'autre en fonction de telle ou telle conjoncture nationale particulière, sauf si elle devait affecter la zone euro en son ensemble. Ce serait d'abord la quadrature du cercle et nuirait à son efficacité et cela, je le répète, ne correspond pas au Traité.

Deuxièmement, comme je l'ai déjà indiqué, la politique monétaire doit rester pragmatique, se refuser à quelque application mécaniste de critères quantitatifs, même si elle entend se tenir, et fermement, à ses objectifs de moyen terme. Ceci tient d'abord à la nature un peu "capricieuse" dans le court terme des évolutions monétaires. Cela se justifie particulièrement à un moment où, avec l'introduction de l'euro, l'environnement économique change fortement, le comportement des agents peut se modifier, les structures financières évoluent, et les repères statistiques doivent être fixés. Et ce sera ma troisième observation.

Par construction, les statistiques monétaires harmonisées de la zone euro ne portent que sur une période encore limitée dans le passé. Il existe nécessairement un certain manque de visibilité au départ qui s'estompe cependant rapidement, avec l'important travail réalisé ou en cours pour compléter, harmoniser et enrichir les statistiques monétaires et financières de la zone euro.

En troisième partie de cet exposé, j'évoquerai le rôle de l'euro dans le développement des marchés de capitaux européens, et son corollaire, sa place comme devise internationale.

La création d'une monnaie unique fait disparaître le risque de change et facilite la standardisation des dettes et leur gestion sur une plus vaste échelle. Elle constitue donc un puissant facteur d'intégration des marchés de capitaux. Les avantages d'une telle intégration sont une plus grande liquidité des instruments, qui contribue à réduire les taux d'intérêt, une meilleure sélectivité des investissements, donc une allocation plus efficace de l'épargne. En particulier, le financement des entreprises par émission d'actions ou obligations, encore peu développé en Europe par rapport aux Etats-Unis (respectivement 26 et 68 % des financements), en sera favorisé.

C'est sur les marchés monétaires que l'effet d'intégration de l'euro s'est fait sentir le plus rapidement et le plus complètement, ce qui s'explique bien sûr par la mise en place d'une politique monétaire unique et l'établissement de TARGET. Comme signes de cette intégration, j'évoquerai la convergence rapide des écarts de taux entre le taux au jour le jour de la zone euro (EONIA) et les taux nationaux ou l'adoption par le marché de l'EURIBOR comme seul taux de référence de court terme. Sur les marchés boursier et obligataire, l'intégration des marchés progresse également, quoique plus lentement, en raison des divergences réglementaires, juridiques, et prudentielles existantes. La Directive sur la finalité des règlements, qui devra être mise en œuvre par le Etats à compter de décembre 1999 constitue un pas important dans la voie de l'harmonisation des règles.

Si l'intégration des marchés reste à compléter, l'introduction de l'euro a d'ores et déjà fortement stimulé le volume d'émissions d'obligations privées, qui, selon certaines estimations, ont progressé de près de 50 % sur les sept premiers mois de l'année par rapport à la période correspondante de 1998. La structure de ces émissions s'est caractérisée par une part croissante des seules entreprises privées (qui ont représenté 19 % du total sur la période contre 9 % en 1998) et des signatures de deuxième rang (la proportion des émetteurs notés Baa ou en dessous est ainsi passée sur la période correspondante de 22 % à 28 % des émissions).

Parallèlement, la restructuration et l'intégration du secteur financier en Europe s'accélèrent, comme en témoigne la vague de fusions et acquisitions réalisées dans ce secteur depuis le début de l'année (qui ont d'ores et déjà dépassé, selon certaines estimations, le volume d'opérations enregistrées en 1998). Ce mouvement induit par la globalisation, la libéralisation financière , et l'innovation technologique, n'a certes pas pour unique moteur la création de l'euro, mais celle-ci en accroît manifestement l'opportunité pour l'industrie financière européenne. Ces restructurations contribueront à améliorer la rentabilité du secteur financier en Europe par la standardisation des produits, la réalisation d'importantes économies d'échelle, l'intensification de la concurrence.

Ce grand marché financier intégré en cours de constitution participe, à n'en pas douter, à la promotion de l'euro comme devise internationale. Disons d'emblée que l'Eurosystème est relativement neutre vis-à-vis de cette évolution, et n'entend ni encourager ni entraver ce processus. Seulement, il paraît dans l'ordre des choses qu'une monnaie d'un ensemble économique majeur regroupant 300 millions d'habitants, représentant 16 % du PIB mondial et 19 % des exportations, dont les marchés financiers sont vastes et en voie d'intégration, et dont la politique monétaire est axée sur la stabilité de la valeur de la monnaie, acquière un poids international majeur.

D'ores et déjà, l'euro est la seconde devise la plus utilisée au monde.

Ainsi, les émissions en euro sur les marché internationaux de capitaux ont fortement progressé depuis le basculement à l'euro et ont représenté 27 % des émissions internationales (et 35 % en incluant les émissions domestiques, ce qui est probablement le bon critère, car la différence entre émissions domestiques et internationales n'a plus grande signification en Europe aujourd'hui) au cours des sept premiers mois de l'année, soit une dizaine de points au-dessus de leur niveau du dernier trimestre, tandis que la part du dollar tombait de 57 % à 50 %.. De plus, et sans même compter les accords monétaires conclus avec certains Etats et territoires associés (Monaco, San Marin, pays utilisant le franc CFA, Cap Vert etc.), une trentaine de pays ont actuellement des régimes de change faisant intervenir l'euro (dont les pays du "SME bis" et de nombreux pays de l'Europe centrale).

Comme monnaie de facturation et de règlement en revanche, les évolutions sont plus longues à se dessiner compte tenu des avantages que procure, par simple principe d'économie, l'utilisation d'une norme unique déjà établie sur des marchés homogènes comme celui des marchés de matière première De même, la part de l'euro comme monnaie de réserve reste encore limitée et s'est même réduite à 15 % du total (contre 78 % pour le dollar) au début de 1999 par la conjonction de deux facteurs techniques : la transformation en euro d'avoirs en devises des banques centrales de la zone euro ; la conversion de certains avoirs en or de ces banques centrales en dollar. Ce faisant, le poids de l'euro comme monnaie de réserve est appelé selon toute vraisemblance à augmenter dans les années à venir.

Au final, quelles pourraient être les conséquences de cette internationalisation de l'euro ? Pour le secteur réel, un développement de l'euro comme monnaie de facturation contribuera à réduire les coûts de transaction et les risques de change. De même, la compétitivité du secteur financier peut être améliorée par l'extension des marchés financiers inhérente à cette internationalisation. En tout état de cause, l'Eurosystème, qui, je le répète, n'entend pas inférer sur ces évolutions, les suit étroitement dans la mesure où elles pourraient modifier les mécanismes de transmission de la politique monétaire ou la nature de l'information véhiculée par les agrégats monétaires.

Dernier point que je souhaiterais évoquer : les liens entre la monnaie unique et l'économie réelle. Je traiterai deux aspects : les aspects micro-économiques ; les liens de la politique monétaire avec les autres politiques économiques.

Les effets micro-économiques de la création de l'euro paraissent établis (je les ai déjà évoqués partiellement) : plus grande transparence des marchés liée à la faible inflation, suppression des coûts de transaction et des risques de change, extension des marchés (avec les nouvelles opportunités d'investissement que cela implique); moindre coût de financement avec l'intégration croissante et le développement des marchés financiers. Je dirai seulement que les avantages de la monnaie unique seront d'autant plus perçus qu'ils seront relayés dans certains domaines par une réelle harmonisation réglementaire.

Quant à la place de la politique monétaire par rapport aux autres politiques économiques, j'insisterai sur trois points.

Premièrement, la politique monétaire de L'Eurosystème, qui vise au premier chef la stabilité des prix ne se désintéresse évidemment pas de l'économie réelle. Pour la simple raison que le suivi régulier des indicateurs d'activité et des perspectives de croissance contribuent à l'évaluation par l'Eurosystème des risques en matière de stabilité des prix. En outre, il est démenti par l'expérience qu'une politique monétaire axée sur la stabilité des prix soit défavorable à la croissance, comme l'illustre la croissance actuelle ou les performances historiques de pays à faible inflation. Il convient simplement d'empêcher que, le cas échéant, la croissance se fasse aux dépens de la stabilité des prix, ce qui affecterait au reste la croissance future.

Deuxièmement, si la politique monétaire ne se désintéresse pas de la croissance réelle, à leur tour, les autres politiques économiques ont leur part de responsabilité dans le maintien des équilibres financiers. En effet, les tensions inflationnistes peuvent apparaître de multiple façon, notamment par des évolutions salariales inadaptées à l'évolution des productivités, ou par des politiques budgétaires inappropriées. Il appartient aux différents responsables d'en tenir compte pour garantir la cohérence des politiques économiques au sein de la zone euro.

Enfin, si l'euro permet une extension de la taille des marchés en Europe, et leur assure en principe une plus grande transparence dans l'espace (monnaie donc "prix unique") et dans le temps (stabilité des prix), le fonctionnement de ces marchés, et notamment le marché du travail, doit encore être amélioré afin d'en accroître la flexibilité et de contribuer par la même à la réduction du chômage en Europe, qui est pour une très large part de nature structurelle . La recommandation n'est certes pas nouvelle. Vous l'entendez certainement de temps en temps ! Il importe cependant de bien saisir sa cohérence avec la monnaie unique : une plus grande transparence sanctionne les marchés les moins efficients, les processus improductifs, les rigidités de toute sorte. Il importe aussi de bien saisir l'opportunité du moment, la croissance économique actuelle en Europe, pour accélérer sa mise en œuvre effective.

En conclusion, il paraît acquis, il est reconnu, au vu de ces dix mois d'expérience, que l'euro est bien établi, et que l'Eurosystème fonctionne bien. Pour autant, la politique monétaire n'est pas figée. Dans une certaine mesure, elle est en construction, et l'Eurosystème développe chaque jour ses outils statistiques, sa capacité de prévision et d'analyse. Il se doit en effet d'être ouvert, réactif, et innovant face à un environnement nouveau, et en pleine mutation.

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