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Entretien avec Les Echos

Entretien accordé par Philip R. Lane, membre du directoire de la BCE, à Guillaume Benoit, Elsa Conesa et Sophie Rolland

22 novembre 2020

L’économie européenne est confrontée à de nouveaux confinements. Quelles sont les conséquences immédiates et à long terme ? Y a-t-il un risque d’une deuxième récession ?  

Ce que nous regardons de près, c’est la circulation du virus, qui contraint inévitablement les comportements des consommateurs, davantage que les mesures de confinement elles-mêmes. Mais il est certain que les deux phénomènes combinés conduiront à une baisse de l’activité. La question est de savoir combien de temps cela va durer, ce qui dépendra des comportements et du respect ou non des mesures. Les confinements sont moins stricts qu’au printemps, les usines sont restées ouvertes, les chantiers continuent, les commerces de première nécessité restent ouverts, et les chaînes de valeur ne sont pas interrompues. Donc les effets devraient être moins violents. Mais la situation évolue très vite, de jour en jour, et il reste par conséquent très difficile d’avoir des estimations précises de ces effets. Ce qui semble certain, en revanche, c’est que les dernières semaines de 2020 ne verront pas d’amélioration.  

Les progrès annoncés sur les vaccins anti-covid changent-ils la donne ? 

Tant que le vaccin n’est pas massivement distribué, nous resterons dans une période d’incertitude. Nous avons déjà dû procéder à deux séries de restrictions depuis le début de la pandémie, et ce ne seront sans doute pas les dernières. Le vaccin apporte surtout une perspective pour la fin de l’année prochaine et pour 2022, pas pour les six prochains mois. Ce qui est paradoxal, c’est que les marchés ont réagi très vite, car ils anticipent les effets du vaccin sur les bénéfices futurs en 2022, 2023, 2024, pas sur l’année en cours, ni même 2021. Du point de vue des banques centrales et des gouvernements, cela aide. Il est beaucoup plus facile de mener une politique accommodante quand on a des perspectives de sortie de crise et qu’il faut soutenir la croissance du PIB d’ici là. Ceci étant, notre scénario central publié le 1er mai reposait sur l’hypothèse d’un vaccin ou d’un traitement vers la mi-2021. Donc nous étions dans le vrai. Le scénario le plus grave est désormais moins probable. Mais il y a encore un grand écart à combler entre maintenant et la sortie. Les enjeux actuels sont donc importants.

Quand est-ce que ces changements commenceront à se traduire dans la trajectoire du PIB ?  

Nos projections reposent sur l’hypothèse que le vaccin sera distribué dans le courant de l’an prochain. Mais le PIB ne retrouvera pas le niveau de 2019 avant l’automne 2022. Nous ne partons pas du principe qu’on reviendra à la situation pré-covid, car il y aura des effets de long terme, par exemple sur la confiance et l’épargne, sur le retour au travail. Malgré le vaccin, il y aura des dommages durables. L’économie européenne sortira de cette crise durablement affaiblie.  

La France a-t-elle bien résisté ? Quelles sont ses perspectives ? 

La France représente bien sûr une part importante de la croissance de l’Europe. Mais nos analyses se font à l’échelle de la zone euro. Je me contenterai de dire que, dans la mesure où il s’agit d’un choc macroéconomique temporaire, il faut une réponse budgétaire suffisamment agressive, qui soutienne la demande à travers la zone euro, à la fois pour les entreprises et les ménages. Toute la difficulté pour les décideurs politiques sera de savoir où tracer la ligne entre les entités viables et celles qui ne le sont pas.  

Les politiques de rachats d’actifs n’ont-elles pas suffisamment soutenu la demande ? 

Le consensus est que les banques centrales doivent baisser les taux d’intérêt et racheter des actifs, créant ainsi de l’espace pour les politiques budgétaires. Dans ces conditions, les mesures budgétaires ont un effet beaucoup plus fort sur la dynamique des économies. Le rôle de la politique monétaire cette année a surtout été de stabiliser le système financier, d’éviter les distorsions de marché. Les taux bas sont bons pour les entreprises et les ménages, mais seules les politiques budgétaires peuvent cibler des secteurs en particulier. La politique monétaire n’est pas conçue pour cela.  

Jugez-vous les décisions budgétaires prises dans les États européens assez agressives ? 

Les États sont encore en train de finaliser les budgets 2021, et l’Europe collectivement doit s’assurer que les décisions budgétaires soient suffisamment agressives. Ces dernières semaines et ces derniers mois, de plus en plus d’États ont mis en place des plans de soutien pour 2021. C’est aux décideurs politiques de prendre la main. Si, par exemple, la France ou tout autre pays soutient massivement son économie, cela bénéficiera à l’ensemble de la zone euro. Une discussion collective est bénéfique.  

Etes-vous inquiet des atermoiements autour du plan de relance européen Next Generation EU ?

Il ne faut pas accorder trop d’importance aux péripéties à court terme autour de la mise en place du plan Next Generation EU. Bien sûr, tous les États européens doivent se mettre d’accord et parvenir vite à une décision finale. Mais si le retard pris est de quelques semaines, ce n’est pas si important car il existe déjà des plans de relance du côté des gouvernements. Ce plan n’est pas destiné à soutenir l’économie entre maintenant et l’arrivée d’un vaccin mais à donner une direction pour les cinq prochaines années. Il va falloir faire face aux défis de la numérisation et du changement climatique. Les consommateurs resteront inquiets et les entreprises devront reconstituer leur capacité d’investissement. Ce qui compte, c’est que l’Union européenne et la zone euro ont montré qu’elles pouvaient faire preuve d’une grande solidarité. Le choc subi en commun trouve sa réponse dans un programme financé en commun par des émissions obligataires communes pour aider, en particulier, les pays les plus touchés.

Quelles ressources pourraient être mises en face de ces financements ?

Ce sera bien sûr le choix des gouvernements européens mais dans un monde de taux d’intérêt faibles, le montant des ressources qui devront être levées par l’Union européenne pour faire face aux charges d’intérêt restera très limité.

Les nouvelles obligations émises par l’UE seront-elles l’actif sûr européen tant attendu par les marchés ?

Ce qui est important pour l’Europe, c’est que le pool d’actifs sûrs s’accroisse. On a déjà vu ça avec les obligations SURE, émises sur différentes maturités, ce qui crée une bonne courbe des taux et répond aux attentes des investisseurs. Alors, des produits dérivés peuvent se développer. Mais il ne faut pas voir les obligations émises au niveau européen comme des produits concurrents des emprunts d’État. Les emprunts supranationaux et nationaux vont coexister, et il est important que ces derniers continuent à être considérés comme de toute première qualité. Je note d’ailleurs que l’annonce de Next Generation EU a eu un effet très positif sur les obligations souveraines nationales. Les investisseurs internationaux ont considéré que cela renforçait la zone euro dans son ensemble.

Certains commentateurs ont estimé que le discours de Christine Lagarde à Sintra marquait un tournant dans la politique de la BCE, qui s’orienterait vers un contrôle implicite de la courbe des taux. Est-ce que les investisseurs doivent s’attendre à ce que la BCE intervienne en fonction des taux de la dette souveraine européenne ?

En octobre, nous avons indiqué que nous recalibrerions nos instruments de politique monétaire à l’occasion de la réunion de décembre. Dans le contexte de la pandémie, notre rôle est d’assurer un financement de l’économie à des conditions favorables. Les taux souverains sont importants, non seulement pour les États mais aussi pour le secteur privé. Mais nous regardons aussi les conditions de crédit, sur le marché et telles que pratiquées par les banques car l’économie européenne est encore très largement intermédiée. Quand nous parlons de conditions de financement favorables, nous considérons aussi les marges de crédit appliquées aux entreprises, petites et grandes, et aux ménages. En aucun cas nous ne regardons un seul taux souverain. Notre priorité est d’éviter la fragmentation de la zone euro.

Quelles métriques regarderez-vous pour déterminer le moment auquel stopper votre programme d’achats d’urgence ?

La politique monétaire met un certain temps à produire ses effets dans l’économie. Il n’y a pas de correspondance exacte entre la circulation du virus et notre politique. Mais c’est un point que nous regardons avec attention. Une nouvelle période d’interruption de l’activité suggérerait par exemple clairement qu’il est trop tôt pour interrompre le programme d’achats d’urgence face à la pandémie. Le programme ne s’arrêtera pas tant que plusieurs conditions ne seront pas remplies. Il faut d’abord que la pandémie ne perturbe plus le fonctionnement normal de l’économie. Il faudra aussi fixer d’autres conditions en termes de PIB, et de consommation, mais il est encore trop tôt pour les détailler. Le programme a été initialement conçu pour aller jusqu’en juin, mais nous avons toujours dit qu’il se poursuivrait tant que la phase de crise ne serait pas terminée.

Est-ce que la politique monétaire est désormais consacrée au soutien des politiques budgétaires ?

Dans cette période de choc commun où les États augmentent leur déficit pour soutenir leurs économies, notre politique de rachats d’actifs, à travers différents programmes, permet de maintenir des conditions de financement favorables. La politique monétaire et les politiques budgétaires vont dans le même sens. Mais cela ne sera pas forcément toujours le cas. Les politiques monétaire et budgétaires pourront à nouveau évoluer dans des directions opposées à l’avenir. Souvenez-vous, en 2015-2019, alors que les États réduisaient leurs déficits, il y avait d’importants rachats d’actifs. Comme indiqué dans notre forward guidance, ces rachats nets, au titre du programme d’achats d’actifs, se poursuivront jusqu’à ce que nous soyons en situation de relever les taux d’intérêt, ce qui suppose que l’inflation revienne dans une zone proche de notre objectif. La première étape sera d’arrêter d’augmenter le stock de dette. Nous commencerons seulement après cela, et après un certain temps, à réduire notre bilan. L’arrêt des rachats d’actifs est lié à l’évolution de l’inflation. Or, dans nos projections économiques de septembre – qui seront actualisées en décembre – nous n’envisagions pas de retour de l’inflation vers notre objectif dans les deux ans.

Aujourd’hui, la BCE peine à convaincre sur sa capacité à atteindre son objectif d’inflation. Ne faudrait-il pas faire évoluer sa définition ?

Depuis l’été 2019, nous indiquons dans le compte rendu de nos décisions de politique monétaire que nous nous sommes attachés à avoir une approche symétrique dans la poursuite de notre objectif de stabilité des prix. Pour la suite, bien sûr, la définition de la stabilité des prix et la précision de nos objectifs en la matière font partie des éléments de l’évaluation de notre stratégie de politique monétaire. Cette évaluation occupe tous les gouverneurs et beaucoup de nos équipes au sein de l’Eurosystème, elle est en cours et il est encore trop tôt pour en connaître les résultats.

Plusieurs acteurs de marchés estiment que le taux de dépôt a atteint un plancher, et qu’il n’y aura plus de baisse des taux. Est-ce le message que veut envoyer la BCE ?

Nous ne pensons pas que nous ayons atteint un plancher ; nous avons encore de la marge pour de futures baisses. C’est pour cela que nous continuons à dire que nous nous attendons à ce que les taux restent à leur niveau actuel, ou plus bas, jusqu’à ce que l’inflation reparte de façon robuste vers notre objectif. Nous considérons que la baisse des taux est toujours une option pertinente et disponible. Mais nous devons choisir, parmi nos outils, ceux qui sont les plus efficaces actuellement. Pour l’instant, le PEPP et les TLTRO (les prêts ciblés de long terme aux banques, NDLR) ont été très efficaces.

Faut-il rendre vos autres programmes d’achats d’actifs plus flexibles, à l’image du PEPP ?

Tout d’abord, je veux rappeler notre attachement à la clé de répartition du capital (qui détermine la participation de chaque État au capital de la BCE, en fonction de son poids dans le PIB de la zone euro et de sa population, NDLR). Elle doit rester le guide naturel de nos programmes d’achats d’actifs, car elle conserve toute sa raison d’être. Mais dans un contexte de tensions sur les marchés, il est également naturel de ne pas nous imposer de restrictions qui mineraient l’efficacité de la politique monétaire. D’autant plus que le maître-mot, cette année, est l’incertitude. Et même si, ces dernières semaines, les déviations par rapport à la clé de capital se sont réduites, il est primordial de conserver au PEPP cette flexibilité pour rassurer tout le monde sur le fait que la banque centrale est prête à faire son travail pour maintenir la stabilité des marchés.

Continuer à maintenir le PEPP pendant une longue période, peut-être même après la fin des aspects sanitaires de la crise du Covid, ne risque-t-il pas de provoquer des contestations ? De la part de la Cour constitutionnelle allemande, notamment ?

Tout ce que nous faisons en matière de politique monétaire doit être proportionné et efficace. Un des grands principes de notre action est que nous devons être en mesure d’expliquer la logique de nos décisions. Associer de la flexibilité au PEPP est tout à fait logique. Et c’est important d’avoir pu le mettre en œuvre. Mais il finira par s’arrêter, une fois que la crise sanitaire sera passée, comme son impact sur l’économie et l’inflation. C’est parce qu’il s’agit d’un programme temporaire qu’il peut être aussi flexible.

L’annulation de la dette des États détenue par la BCE est une demande qui revient souvent ces derniers temps, vous paraît-elle envisageable ?

Il y a une réponse très simple : le Traité l’interdit. Nous ne pouvons pas faire de financement monétaire. Mais au-delà de cette question, je pense que le monde politique, la société civile et même la sphère financière doivent assimiler que nous sommes désormais et durablement dans un environnement de taux bas. Le coût des émissions est très bas, ce qui réduit le poids du service de la dette.

Pensez-vous qu’il faille augmenter le programme de liquidité pour les banques alors que la dernière enquête trimestrielle sur la distribution de crédit bancaire de la BCE laisse apparaître un resserrement des conditions de financement ?

Nous prenons très au sérieux les résultats de cette enquête. Nous allons continuer à réfléchir d’ici à notre réunion de décembre à une possible évolution de notre programme de prêts ciblés aux banques, qui occupe une place importante dans notre dispositif. Cela peut être une refonte, une augmentation, une prolongation. Mais nous devons aussi examiner comment les précédentes opérations TLTRO, qui ont connu une très forte demande, passent réellement dans le bilan des banques. La condition de base pour bénéficier de taux avantageux est de maintenir les prêts au secteur privé, aux ménages et aux entreprises. Nous devons vérifier que cet outil est aussi efficace qu’il devrait l’être.

Pensez-vous que le taux de ces TLTRO devrait être encore plus favorable qu’aujourd’hui ?

Il y a de multiples paramètres dans les TLTRO : le volume de prêts nécessaire pour être éligible au programme, sa durée, son taux d’intérêt. Je pense qu’il faut tous les prendre en compte.

Pensez-vous que les banques devraient bénéficier d’un nouvel allégement des contraintes prudentielles ?

C’est une question qu’il faudra poser à mes collègues de la supervision bancaire. Nous maintenons une séparation stricte entre la politique monétaire et la supervision prudentielle. Mais je dirais que, cette année, les décisions du superviseur ont été vraiment importantes.

Mais pensez-vous que retirer les prêts non performants du bilan des banques et les isoler dans un véhicule spécifique est souhaitable ?

Là encore, je vous invite à regarder les travaux d’Andrea Enria, qui a avancé plusieurs solutions. Les gérants d’actifs peuvent jouer un rôle important. Mais vraiment, je m’en remets à mes collègues de la supervision.

Les politiques d’achats d’actifs ne sont-elles pas en train de renforcer les inégalités en zone euro ?

C’est une question importante. Les achats d’actifs sont au cœur de notre politique de soutien, avec les taux bas. Cela a une conséquence immédiate sur le prix des actifs. La valorisation des actions ou de l’immobilier est plus élevée, ce qui, bien sûr, bénéficie à ceux qui possèdent ces actifs. En revanche, le rendement des obligations est bien plus faible. Cela peut être préoccupant en matière de redistribution des richesses. Ça peut être problématique dans les pays où les travailleurs doivent beaucoup épargner pour leur retraite...

…C’est inquiétant…

…En même temps, en réduisant le coût de financement des États, les achats d’actifs baissent le service de la dette. Avec des taux plus élevés, les gouvernements devraient mener des politiques d’austérité en augmentant les impôts et en coupant dans les dépenses publiques. Les épargnants profiteraient de taux d’intérêt plus élevés, mais si vous avez un crédit immobilier, un prêt étudiant ou à la consommation, vous seriez perdants. Nous pensons que les achats d’actifs ont permis de sauver beaucoup d’emplois en Europe, ont permis une augmentation plus rapide des salaires et que, à travers toutes ces dimensions, il a été bon pour beaucoup de ménages en Europe.

L’euro a récemment approché ses plus hauts niveaux face au dollar. A quel niveau considérez-vous que son taux de change est préoccupant ? Que peut faire la BCE ?

Nous sommes dans une économie ouverte. Celle-ci est bien sûr principalement tirée par des facteurs internes, mais les taux de change ont une influence indubitable sur l’évolution du PIB, et aussi sur la dynamique de l’inflation. C’est pour cela que nous y avons fait allusion dans nos déclarations récentes. C’est un facteur parmi d’autres qui peut peser sur les prix. Et quand les projections d’inflation ne sont pas bonnes, nous réagissons. Mais nous ne ciblons pas un taux de change.

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