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  • 24 January 2020

Entretien avec France 2

Entretien de Christine Lagarde, Présidente de la BCE, accordé à Jean-Paul Chapel

Christine Lagarde, bonjour. C’est votre première interview télé en France depuis que vous avez pris vos nouvelles fonctions à la Banque centrale européenne, en novembre. Alors, merci de la réserver à France 2 et Télématin. Les Français vous ont connue comme ministre de l’Économie, puis directrice du FMI, le Fonds monétaire international. Là, à la BCE, c’est un poste avec encore plus de pouvoir, chacune de vos paroles est scrutée par les marchés financiers, vous devez peser chaque mot ?

Il faut que la parole soit suffisamment rare pour rester solide et crédible, et il faut évidemment qu’un banquier central fasse attention aux signaux qu’il donne, parce que c’est effectivement observé par les marchés financiers, par les analystes, et ils en tirent ensuite un certain nombre de conséquences pour savoir où orienter leurs actions et où déplacer les fonds.

Alors, un mot de la France, aujourd’hui c’est une journée de grève sur la réforme des retraites, le texte arrive au Conseil des ministres aujourd’hui. Cette réforme des retraites, c’est une bonne réforme selon vous ?

Je ne suis pas en situation maintenant d’apprécier l’économie du texte. Ce que nous, nous savons au niveau de la stabilité des prix, au niveau des grands équilibres, c’est qu’il est important que tout citoyen ait suffisamment de certitudes sur ce qui se passe dans 10 ans, dans 15 ans, dans 20 ans, le jour où il ou elle prend sa retraite. Donc, toute réforme qui facilite cette certitude, qui donne du sens à cette perspective de la retraite et qui ne génère pas d’inégalités sera propice sur le plan de la politique économique, de la politique monétaire, et c’est le cas pour tous les produits qui sont à paiement ou à rendement ultérieur.

Alors, la politique monétaire, c’est les taux d’intérêt, ce que décide la Banque centrale européenne. Ces taux d’intérêt, ils sont toujours aussi bas, quasiment à zéro ; conséquence, l’épargne des Européens ne rapporte quasiment rien. En France le taux du livret A, c’est 0,5 %, l’assurance-vie ça ne rapporte pas beaucoup plus. L’épargne des plus modestes perd de sa valeur avec la hausse des prix.

Vous avez raison. Il faut mettre les deux taux en parallèle : le taux de rendement et l’augmentation des prix. Il faut surtout se poser la question de savoir pourquoi les taux sont bas. Nous sommes dans un univers, en Europe, mais aussi dans l’ensemble des économies avancées, où les taux sont généralement bas et ont considérablement baissé au cours des dix dernières années. Donc il y a un rééquilibre qui est en train de s’effectuer actuellement. Ils sont bas pourquoi ? Parce que la mission des banques centrales, c’est de préserver la stabilité des prix, c’est notamment d’éviter qu’on passe en mode de déflation et, pour ce faire, il faut essayer de soutenir l’économie, de faciliter le financement des entreprises, d’encourager les ménages à investir. Quand un jeune couple, par exemple, décide aujourd’hui de s’acheter son premier appartement, le coût des financements est ultra bas. Il n’a jamais été aussi bas. Pour les entreprises, quand elles investissent dans un nouvel outil de production, même chose, les taux n’ont jamais été aussi bas. Donc la mission aujourd’hui, c’est d’encourager l’investissement, ce n’est pas de soutenir l’épargne à tout prix. Aujourd’hui l’investisseur est mieux placé.

Vous le dites, c’est une mauvaise affaire pour les épargnants, mais c’est une bonne affaire pour ceux qui empruntent. Par exemple, les taux d’intérêt sont même négatifs pour des pays comme la France qui s’endettent à dix ans, ou même pour les grandes entreprises. Plus on s’endette, plus on s’enrichit : on marche sur la tête quand même…

Ce n’est pas plus on s’endette, plus on s’enrichit ; plus on s’endette, plus on peut améliorer l’outil de production. Cela vaut pour les ménages, quand ils achètent un nouvel appartement ; cela vaut pour les entreprises, quand elles investissent dans des outils de production nouveaux, quand elles améliorent leur productivité ; et cela vaut pour les États. Tout dépend de ce que l’on fait avec l’argent emprunté. D’abord, il faut emprunter si on a la capacité de le faire et si on a la marge de manœuvre budgétaire adéquate. Mais emprunter pour investir dans l’éducation, pour investir dans les nouvelles technologies, pour investir dans la recherche et le développement, pour améliorer les facteurs de production en général, c’est un bon investissement, parce que cela renforce les économies et cela permet, avec de la croissance, d’embaucher et d’améliorer la situation des ménages.

Et investir dans la transition écologique, vous à la Banque centrale européenne, c’est nouveau, vous voulez vous occuper du climat. Vous avez dit : « Il y a un danger à ne rien faire ». Qu’allez-vous faire ? En un mot.

On va examiner tous nos outils : l’analyse économique, la supervision -puisqu’il y a une branche de la BCE qui s’occupe de la supervision bancaire-, et l’investissement, que nous réalisons à travers un certain nombre de programmes qui sont soit les nôtres en direct, soit le portefeuille que nous gérons dans le cadre de la politique monétaire accommodante qui a été pratiquée depuis plusieurs années. Nous allons voir de quelle manière nous pouvons être des facilitateurs de l’identification du risque. Ça veut dire que quand on prend un produit financier, on ne va pas le prendre sur sa valeur faciale. On va dire, est-ce que l’entreprise a pensé aux risques climatiques ? Est-ce qu’elle s’est posée la question de savoir ce qu’il se passe si dans 5 ans, 10 ans, 20 ans nous sommes dans une situation où les actifs ont complètement changé de valeur ?

Dernière question d’un mot, votre animal totem, je le vois sur votre veste, c’est la chouette. Qu’est-ce que ça signifie ? D’un mot.

Ça signifie que je ne suis ni une colombe, ni un faucon…

Ni laxiste, ni orthodoxe.

Ni laxiste, ni orthodoxe. Nous allons essayer d’agréger nos sagesses collectives pour définir une politique monétaire qui soit bonne pour les Européens et qui permette stabilité des prix, croissance, capacité d’investissement, dans un univers qui soit le moins carboné possible.

Merci beaucoup d’avoir été avec nous. Très bonne journée à vous tous.

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