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Entretien avec l’Obs

Entretien de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, accordé à Sophie Fay et Pascal Riché, le 15 mai et publié le 23 mai 2017

Aux Etats-Unis, le pouvoir exprime la volonté de revenir sur les réglementations bancaires mises en place après la crise financière de 2008. La Grande-Bretagne a cette tentation dans le cadre du Brexit. En France, Emmanuel Macron a lui aussi jugé qu’on était allé trop loin. Est-ce une menace pour la stabilité des systèmes financiers ?

Oui, la menace existe. On voit poindre, un peu partout, des tentations de revenir sur la régulation financière adoptée par les pays du G20,. C’est un chantier immense : nous avons renforcé les exigences en capitaux propres et en liquidité des banques limité leur taille, encadré des produits potentiellement dangereux, comme les produits dérivés, et commencé à remettre de l’ordre dans ce qu'on appelle la « finance de l'ombre », celle qui ne passe pas par les banques.

Que l'industrie financière n’apprécie guère ces nouvelles règles n'a rien de surprenant. Les grandes banques expliquent que cela freine le crédit et que cela augmente le coût du capital. Mais ce n'est pas vrai dans la zone euro, et moins encore en France. Les banques ont considérablement renforcé leur niveau de capital depuis 2010 et pourtant elles n'ont jamais autant prêté, à des taux qui n'ont jamais été aussi bas.

La tentation de moins-disant réglementaire existe dans n'importe quelle industrie, mais elle est plus forte encore dans la finance.. Il a fallu une énergie politique énorme de la part des chefs d'Etat et de gouvernements, après la crise financière, pour ne pas y céder. Mais dès que cette volonté politique faiblit, - la tentation du nivellement par le bas revient. C’est le cas aux Etats-Unis, même si pour l’instant, au G7 comme au G20, la nouvelle administration n’a pas exprimé de désir de revenir en arrière sur la coopération financière, ce qui est rassurant.

Emmanuel Macron lui aussi a déclaré qu’il voulait revenir sur certaines règles bancaires, notamment sur le niveau requis de fonds propres.

Sa déclaration procédait d’une bonne intention : faciliter le financement des PME. Mais il y a d'autres instruments pour cela. Il serait utile qu’une fois par an, les ministres de l’économie et des finances de l’UE, examinent l’impact de la régulation sur le financement des entreprises. Mais cela ne doit pas être prétexte à un détricotage de ce qui a été fait au niveau international.

Le pouvoir des technocrates sur ces questions n’est-il pas devenu trop important ?

Les accords du Comité de Bâle qui réunit les banques centrales et les autorités de contrôle bancaire doivent être transposés en droit national. Ils ne sont pas en tant que tels contraignants. . Les politiques ont toujours la capacité de reprendre le contrôle. Ce sont eux qui rédigent et adoptent les textes bancaires. Les enceintes internationales technocratiques doivent-elles être plus transparentes ? Oui, sans doute. Mario Draghi s'est d’ailleurs engagé à tenir le Parlement européen mieux informé des discussions en cours.

Que faut-il faire pour limiter la perméabilité entre le monde bancaire et le monde politique ?

En Europe, la réponse est simple: il faut prendre l'union bancaire au sérieux. Le cœur du projet, c'est de “dénationaliser” le contrôle des grandes banques en le confiant à la BCE, pour harmoniser les méthodes de contrôle et créer une distance entre le contrôleur et le contrôlé. Avant l’union bancaire, la régulation et la supervision des banques relevait dans chaque pays d’une sorte d’écosystème, une coproduction entre les banques, le gouvernement et le contrôleur bancaire. Et on a vu le résultat : certaines banques ont pris trop de risques sur les marchés tandis que d'autres, qui n'étaient plus viables, ont continué, sans contrôle suffisant, à financer des projets qui n'avaient plus de sens économique. Les contribuables ont payé les pots cassés. Avec l’union bancaire, la proximité sociologique entre les banques et le pouvoir administratif et politique est moindre.

A propos de “proximité sociologique”, le nouveau président français est un ancien banquier. La BCE sera-t-elle plus vigilante à son endroit ?

Evitons les procès d'intention. Georges Pompidou et Henri Emmanuelli ont aussi travaillé chez Rothschild! Les autorités politiques françaises ont été à l'avant-garde de l'union bancaire : c’est un acquis et cela n’allait pas de soi en France. Il s'agit aujourd’hui de continuer dans cette direction.

La dérégulation financière est-elle, comme on le dit, un facteur d'augmentation des inégalités ?

La régulation financière prend toute sa place dans un dispositif de lutte contre les inégalités. Comme l’expliquent les économistes Philippe Aghion ou Angus Deaton, la lutte contre les inégalités passe par la lutte contre les rentes. Or les grandes forces actuelles de transformation, la mondialisation et le progrès technologique, créent des rentes. Lutter contre ces rentes n’est pas aisé, parce qu'il y a des « bonnes » et des "mauvaises" rentes. Si on veut qu'il y ait de l'innovation, il faut accepter des rentes, au moins temporairement.

Celles que procurent les brevets par exemple...

Oui. Il faut que les gens puissent profiter des fruits de leur innovation, afin de les inciter à innover. Mais s’il y a trop de rentes, une minorité s'approprie les bénéfices de la mondialisation et du progrès technologique. Or, la finance qui est nécessaire au financement de l’innovation, est aussi un accélérateur de rentes.

Comment ?

Les grandes institutions financières ont une tendance naturelle à vouloir grandir pour exploiter les économies d'échelle, se diversifier n, et pour diminuer leurs coûts de financement. Si elles sont trop grandes, cela pose un problème de concurrence et cela crée une rente. Cela encourage aussi un phénomène propre à la finance, le “too big to fail” : trop grandes pour faire faillite. Une grande institution financière peut prendre des risques inconsidérés parce qu'elle sait que les pouvoirs publics n’auront d’autre choix que de la sauver en cas d’accident... Il faut éviter cette course à la taille, par la réglementation.

Autre phénomène spécifique à la finance : la constitution de rentes individuelles. Une fraction des salariés de l'industrie financière se rémunère à des niveaux déraisonnables par rapport à leur utilité sociale, comme l’ont clairement mis en évidence les travaux de Thomas Philippon et Ariell Reshef. Cette captation, socialement injuste, doit être réglementée. D’où les textes européens visant à encadrer la distribution des bonus. Certains pays , comme le Royaume Uni, sont allés plus loin en prévoyant une responsabilité pénale des dirigeants de banque en cas de prise de risque excessive ou de défaut de contrôle. C’est un choix politique. On pourrait très bien le faire en France.

Toutes ces règles diminuent le risque de crises financières. Or, ces crises aggravent les inégalités. Trop souvent par le passé, le coût de la recapitalisation des banques a été supporté par les contribuables. Et les crises bancaires, en faisant chuter l'activité et l'emploi, frappent surtout les plus vulnérables. L’Europe s’efforce, par une série de nouvelles règles, d’éviter que le coût de ces crises soit supporté par le contribuable, en mettant à contribution actionnaires et créanciers des banques.

Que fait l’Europe, par ailleurs, contre les inégalités ?

Pour réduire les inégalités, il faut des instruments de redistribution, c’est-à-dire des impôts et des transferts. Seul un Parlement élu, légitime, peut décider de taxer les uns pour donner aux autres. A l’échelle mondiale, un tel parlement n’existe évidemment pas. A l’échelle européenne, il existe. C'est une chance extraordinaire ! Il faut s'en servir de manière efficace.

Le paradoxe de la mondialisation, c'est que plus on a besoin d'instruments de redistribution, plus ils sont remis en cause. Il devient par exemple de plus en plus difficile de taxer les grandes entreprises, désormais globalisées. L'action de la Commission vis à vis d'Apple en Irlande est un bon exemple de ce qu'il faut faire pour reprendre le contrôle de la mondialisation. Et son projet d’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés va dans le même sens.

Les planètes semblent alignées pour que le fonctionnement de la zone euro puisse enfin être réformé. Qu’en pensez-vous ?

Une fenêtre s’ouvre. Il faut la saisir. En élisant Emmanuel Macron, les Français ont confirmé leur attachement à la monnaie unique. Cela donne au nouveau président un mandat très fort, mais aussi une responsabilité, pour être une force de proposition sur la réforme de la zone euro. Pour la BCE, c'est une bonne nouvelle.

Au premier tour, la moitié des votes est allée à vers des candidats très critiques vis à vis de l’euro...

Cela montre à quel point la réforme de la zone euro est nécessaire ! La BCE le constate aussi tous les jours, alors qu’elle doit assurer la stabilité d’une monnaie unique avec 19 gouvernements différents, qui tirent à hue et à dia et peinent à gérer et résoudre les crises. Ce manque d’efficacité a un coût pour l’activité et pour l'emploi.

L’euro a apporté une stabilité dans la crise financière. La politique monétaire de la BCE soutient la reprise économique. La zone euro a créé cinq millions d'emplois depuis la mi-2013. Mais il reste un problème majeur, existentiel, de confiance, des citoyens dans l'Europe et un manque de confiance des Européens entre eux, avec par exemple des préjugés culturels entre le Nord et le Sud.

Est-ce uniquement un problème de confiance, ou n’y a-t-il pas aussi un problème mécanique, un défaut de construction, qui fait que l’euro produit de la divergence entre l'Allemagne et les autres pays au lieu de produire de la convergence ?

Si le taux de chômage est de 4% en Allemagne et de 10% en France aujourd'hui, ce n'est pas à cause de l'euro. C'est parce que les réponses de politique économique ont été très différentes dans les deux pays. Certes, au niveau européen, il y a eu parfois un manque de coordination, les instruments de solidarité doivent être améliorés. Mais il y a aussi eu un manque de volonté de réforme dans certains pays.

L’Allemagne est-elle prête à accepter plus d’instruments de “solidarité” : budget européen, euro-obligations... ?

Il y a un préjugé allemand qui consiste à croire que l'Allemagne paye pour le reste de l'Europe, ce qui est largement faux. L'Allemagne contribue aux plans de sauvetage européens à la hauteur de son poids économique, comme la France ou l'Italie. Il y a des préjugés symétriques en France, comme par exemple l'idée que le taux de chômage en France s’expliquerait par un euro sous-évalué pour l'industrie allemande et surévalué pour les usines françaises. En réalité, si le chômage est plus élevé en France c'est parce que le marché du travail fonctionne moins bien. Il faut dépasser ces préjugés qui alimentent le populisme. Chacun doit faire sa part d’effort.

C'est quelque chose qu’Emmanuel Macron a très bien compris. La France est attendue comme force de proposition sur la zone euro. Mais pour être crédible, il faut qu’elle engage elle-même les réformes qui permettront de ramener le taux de chômage français vers la moyenne européenne.

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